“ Journal d’une guerre ” de Mérédith Le Dez, imprimé par les éditions Folle Avoine, sur leurs presses en typographie au plomb au mois de mai 2013
J’ai reçu son livre juste avant de partir et l’ai lu tout de suite. Mérédith m’avait déjà lu le manuscrit au chalet, j’étais restée dans le silence, respirant à peine tant ce texte me bouleversait.
C’est la même histoire de rois déchus de reines mortes ou trahies de pays désaimés de peuples asservis c’est la même histoire qui revient en mars dans le pas des soldats en marche sur l’horizon dans la conquête jaune des jonquilles sur le cielL’écriture est superbe, d’un souffle ample et en même temps très sobre sans aucune fioriture ou facilité, qui emmène le lecteur dans un monde sauvage, le fait vibrer, s’imprime en lui par ses reprises tout au long des 30 textes (30 jours de mars du journal d’une guerre) de mots, d’images, par son rythme alternant des temps brefs et longs, ceux du silence et de la pensée, de la violence et de la douceur, de la guerre, armée qui se bat et trêve ou repos des soldats ou de celui qui écrit le journal.
C’est un texte très fort sur la guerre avec la peur le désir et la mort, guerre que l’on mène depuis toujours au dedans de soi, contre soi, si douloureuse quand on ne connaît pas la paix, quand la peur du vide, la détestation du mal s’allient à la mémoire des mots fléchés dans la chair et résonne dans la gorge et le crâne.
« Je pourrais écrire Journal d’une guerre cela s’appellerait mais la guerre est morte et l’on meurt sans cesse à soi-même de nostalgie de manque et d’horreur je pourrais écrire sur la guerre cela s’appellerait La Guerre n’est rien qu’y a-t-il quand la guerre est finie puis-je parler de paix si je détruis impitoyablement le monde Les jonquilles fleurissent sur les décombres je remarque aujourd’hui leur intime parfum entre colza et obsession… »Guerre “ intestine ” mais aussi universelle. Guerres d’hier et de demain en nous, en dehors de nous, toutes les guerres dans le monde, toujours recommencées, le sens du devoir gravé au front.
“ la guerre avance sur la plaine et brûle derrière elle des siècles d’archives la guerre avance elle se nourrit d’elle-même elle est sa propre folie elle franchit le cordon de sécurité du monde pour réclamer son dû elle avale mètre après mètre l’horreur et la beauté elle est sa propre logique et folle où peut-elle s’arrêter elle fera le tour du monde inlassablement brûlant à maintes reprises les mêmes terres massacrées elle violera les cadavres elle brisera dans les écomusées les dents des fourches et des scies quand il n’y aura plus d’homme pour la torture et s’assagira d’elle-même pour mieux reprendre un peu plus tard «Cet officier penché au bord du monde qui écrit sur la guerre c’est l’auteur, c’est l’être humain, et c’est pour cela que ce texte nous touche parce que c’est nous aussi qui faisons inlassablement la guerre contre ce qui nous détruit en détruisant parfois quelqu’un ou quelque chose. Je pourrais écrire sur la guerre… j’écris sur la guerre… j’ai écrit sur la guerre…, redit le narrateur au fur et à mesure que le texte et le temps avancent, pour terminer par : demain je sortirai et j’écrirai sur la guerre. Tâche sans fin de se battre pour la vérité malgré la peur et la solitude du monde, même si les illusions tombent l’une après l’autre au feu de la vérité .
Il ne faudrait surtout pas ne voir dans ce texte que tristesse, douleur, désespoir. Au contraire, il y a toujours une clarté, un espoir au milieu de mars, dieu de la guerre certes mais aussi mois du renouveau, de la vie après l’hiver et la mort apparente de la nature, comme la jonquille (la fulgurance des jonquilles) qui fleurit dans la neige sur les décombres et triomphe de l’absence.
… croire encore au printemps éternel à l’hiver qui desserre son étreinte sur le rêve figé d’une paix ivre de fleurs comme d’inlassables yeux dans l’horreur il y a tout à coup insupportable et douloureux le rappel à l’ordre de la beauté il y a le combat pur de la vérité comme un houx dans la sombre forêt offre une consolation rougeDans la noirceur des hommes en guerre, il y a toujours le silence, compagnon de trêve, le rêve qui permet d’ endurer le vide, d’oublier, faire semblant d’oublier la guerre et les défaites et brûler les archives, même si l’on sait que ce n’est qu’une halte, qu’un court moment de paix.
Et je rêvais de pays fiers où l’on entre soumis aux mains blanches et rebelle inlassablement sans savoir où l’on va sans inquiétude pourtant
Il y a l’écriture qui peut nous sauver, croire alors à
… de belles pages où le plomb ne creusait pas la chair de galeries fatales mais fascinait l’oeil et la raison beau comme il était ce monde sur le sable comme une averse noire à pleurer de ne pouvoir l’étreindre
et comme le narrateur se réveiller la vie est une convalescence d’ombre et de clarté
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