VERMEER

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Gaëlle Josse nous convie, avec ce petit bijou publié aux éditions invenit dans la collection Ekphrasis, à la découverte d’un merveilleux tableau de Vermeer : “L’endormie”. A chacun de ses passages à New York l’auteur a rendez-vous avec cette jeune femme qui dort désormais au Metropolitan Museum.

Nous allons découvrir l’oeuvre, nous y plonger, boire cette lumière étonnante, nous laisser captiver par cette symphonie de rouge, et puis partir à la découverte d’autres toiles de Vermeer qui accompagnent celle-ci au Musée, et d’autres dans la ville “qui ne dort jamais”.

Familière de la peinture hollandaise du XVII ème siècle, Gaëlle Josse nous avait déjà plongés dans l’univers de contemporains de Vermeer : Emmanuel de Witt dans le roman  “Les heures silencieuses” et Georges de La Tour dans le roman  “L’ombre de nos nuits”. Dans cette nouvelle lecture d’une oeuvre picturale, elle s’attache à imaginer qui peut bien être cette jeune assoupie, interrogeant les moindres détails de la toile. Une sorte d’enquête qui projette le lecteur dans le monde de l’art, de la peinture par delà les époques, et l’amène à s’interroger sur sa place dans notre vie et le regard qu’elle nous conduit à porter sur notre quotidien à travers le prisme de l’esthétique.

“De retour downtown après ma visite au Metropolitan, je quitte l’intenable chaleur du métro à la station East Broadway, au coeur de Chinatown. C’est là que se trouve mon hôtel. Des femmes menues s’abritent du soleil sous des parapluies, d’autres transportent des sacs de courses en plastique qui leur scient les doigts. Soudain, je m’arrête devant une vitrine. C’est celle d’un fast-food. Minuscule. Un couloir, à peine, graillonneux et encombré, deux tables près de la vitrine constellée d’autocollants décolorés. La peinture est écaillée, le sol souillé de traces de pas. L’offre alimentaire est constituée de photos sous plastique, commentées en idéogrammes, seul le prix est affiché en dollars.

A la table la plus proche de la rue, une jeune femme dort, devant les reliefs de son dîner, une barquette en polystyrène blanc rendue translucide par le gras, au fond de laquelle demeurent quelques nouilles emmêlées et une paire de baguettes jetables en bois, et aussi une boîte métallique de bière et un gobelet en plastique strié. En face d’elle, une autre barquette vide, une autre canette. Elle n’a pas dîné seule. (…) Elle dort. Je reste là, immobile devant cette troublante réplique de mon endormie du Metropolitan. Vertige. Stupeur. Etrange, troublante correspondance. Le tableau s’invite dans la vie.”

Gaëlle Josse nous émeut dans sa prégnante compréhension de la ville, de son immensité, de ces vies inconnues dont nous pouvons dérober quelques images, et elle nous livre le secret de son écriture si magnifiquement humaine et sensible : “Je comprends alors pourquoi j’écris. J’écris pour dire des histoires d’égarés, de démunis, de perdus, d’abandonnés.”

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Dans l’Ombre de la « Situation » !

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Arnaldur Indridason est diplômé en histoire et dans ce roman ses compétences se révèlent du plus haut niveau. Il aborde une période peu connue de l’histoire de la 2ème guerre mondiale : l’occupation de l’Islande par les troupes britanniques et les troupes américaines, occupation qui sème le trouble au sein de la population islandaise.

La montée du nazisme a rencontre de vifs encouragements de la part d’une fraction de la population islandaise, et l’auteur illustre cette collusion dans une intrigue soignée où il nous montre les rouages de la recherche pseudo-scientifique nazie sur le thème de la pureté de la race. Il évoque également l’attirance souvent intéressée de certaines islandaises pour les soldats américains et britanniques, créant ainsi un phénomène que les Islandais ont  appelé la « Situation » pour qualifier cette période de l’occupation.

Un crime particulièrement violent est commis et on retrouve le cadavre d’un représentant de commerce dans un petit appartement de la capitale, Reykjavik, tué d’une balle de Colt, une croix gammée tracée avec son sang sur le front ! Deux enquêteurs sont dépêchés sur l’affaire, marquant la collaboration entre la police criminelle islandaise et la police militaire des forces occupantes. Flovent inspecteur de la criminelle s’entend très bien avec celui qu’on lui a délégué, Thorson, un jeune canadien d’origine islandaise et qu’on appelle Islandais de l’Ouest, bilingue, précieux intermédiaire entre les forces d’occupation et les autochtones.

Leur collaboration va mettre à jour une sombre histoire d’espionnage, de conflits d’intérêt entre les occupants, de relents de nazisme et d’expériences scientifiques hautement contestables, voire monstrueuses. Pas un moment de répit dans cette enquête au cours de laquelle on se prend d’une vive sympathie pour ces deux enquêteurs qui mettent tous leurs efforts en commun, en totale honnêteté intellectuelle l’un envers l’autre.

Une fois encore Arnaldur Indridason nous emmène à la découverte de son pays à travers une période historique passionnante. La précision des détails, la richesse des descriptions, la vivacité et l’authenticité des dialogues en font un roman prenant, fascinant. On attend avec impatience le deuxième volet de cette trilogie, qui doit paraître en octobre prochain.

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Une petite bonne bien étonnante

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Grâce à une recommandation sur Facebook de Gaëlle Josse, j’ai découvert avec bonheur ce court roman de Graham Swift.

Un très bon moment de lecture que ces pages qui allient le suranné au moderne, la sensualité  d’une liaison déclinante lors d’un mois de mars éclatant de soleil, les rapports subtils entre  la Grande Bourgeoisie anglaise et sa domesticité.

Le “dimanche des mères” est une coutume aristocratique qui offre aux domestiques une journée par an pour visiter leur mère. La jeune Jane est orpheline aussi ce dimanche particulier serait-il pour elle l’occasion de se promener et de lire en profitant de cette journée radieuse qui illumine cette région du Sud de l’Angleterre. Mais il en ira tout autrement car son amant, un jeune homme de très bonne famille lui propose de le retrouver dans sa grande demeure, ses parents étant occupés à un déjeuner chez les parents de sa fiancée. D’ailleurs il doit rejoindre celle-ci pour un tête à tête dans un restaurant huppé du comté.

La dramaturgie se met en place, les liens entre Jane Fairchild et son amant bien né Paul Sheringham sont anciens, et leurs retrouvailles étonnantes dans la chambre inondée de soleil du futur marié verront sans doute l’ultime épisode de leur liaison. A début du roman, nous découvrons Jane et son amant  au moment où celui-ci s’apprête à rejoindre Emma, sa future épouse. Il s’habille avec un soin tout particulier sans doute pour faire oublier son retard et laisse Jane profiter de la grande demeure vide de tout le personnel en ce dimanche à tout jamais différent.

Nous allons ainsi vivre les découvertes de Jane, la prise de conscience de sa condition en cette époque de l’entre-deux guerres où les chevaux cèdent le pas aux voitures, où la domesticité se réduit du fait de l’appauvrissement des revenus de ces grandes familles, où cependant les domestiques affinent leur jugement sur leurs maîtres et évoluent vers un affranchissement de leur condition. D’ailleurs à petites touches l’auteur nous amène à pressentir que l’avenir de Jane sera tout autre que celui que nous aurions pu imaginer au début du roman.

Une traduction au plus juste de à Marie-Odile Fortier-Masek, une écriture dont le rythme épouse les pérégrinations de l’héroïne, une suave étude des us et coutumes de cette époque charnière, tout concourt à faire de ce roman un petit bijou dont il serait dommage de se priver.

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Dans l’immensité de la Taïga russe

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Une traque dans ce nouvel opus, une chasse à l’homme vouée à la mort, mort du criminel évadé, mort peut-être de ceux qui le poursuivent, dans l’immense taïga russe, aux confins orientaux de l’U.R.S.S.. Nous sommes peu après la deuxième guerre mondiale, au moment des grandes obsession staliniennes (espionnage, bombe atomique, attaques américaines), lorsque Pavel raconte cette histoire à ce orphelin qui croyait l’avoir débusqué dans l’immense forêt qui borde Tougour, village coincé dans une mer intérieure délimitée par un petit archipel au bord du Pacifique.

En cette année 1952  la menace de sabotage antisoviétique est un leitmotiv dans tout le pays ; les réservistes sont régulièrement convoqués pour une préparation à la mobilisation, en vue de la troisième guerre mondiale qui obsède les dirigeants du parti. Et Pavel de partir en cantonnement pour un temps indéterminé dans la taïga d’Extrême-Orient. Commence alors un entraînement inhumain, où plane en permanence la menace d’être déporté au Goulag. C’est l’évasion d’un prisonnier d’un camp voisin qui détermine une mission à laquelle devra participer Pavel, sorte de représailles après une insubordination. En ces temps où l’espionnage est un motif permanent de déportation, le capitaine Louskass, commissaire politique  et le commandant Boutov, militaire de carrière constituent leur équipe pour pister le fugitif : Vassine, sergent réserviste, Ratinsky, lieutenant d’active, et Pavel, simple soldat réserviste. Les personnalités de ces cinq hommes confrontés à l’incapacité de déjouer les ruses du fuyard qu’ils poursuivent, sont exacerbées par les difficultés de cette poursuite. Lâcheté, bravoure, indifférence, carriérisme, peur physique, désillusion, désamour, tous ces sentiments se dévoilent ai cours des jours qui s’accumulent sans que la capture vienne mettre fin à ce périple insensé.  Cette traque  conduira Pavel jusqu’à l’archipel des Chantars, dans le souffle de l’Océan Pacifique, aux confins du monde soviétique où l’Histoire et la politique semblent dérisoires.

L’étude psychologique des personnages, leur rapport à l’autorité, à la peur sous toutes ses formes : physique, politique, à la nature qui est à la fois nourricière et mortifère pour l’homme dans ces régions inhospitalières, à l’humanité aussi selon l’éthique de chacun des poursuivants, tout concourt à faire de ce roman une étude fascinante de la folie des hommes, de leurs ressources intérieures et de leur quête insatiable de l’amour.

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Rentrée littéraire automne 2016

Marcus Malte

Marcus Malte possède un univers romanesque bien particulier. Il a souvent écrit dans le genre policier, avec une inventivité maîtrisée et tout à fait étonnante. La force de ses personnages, la tendresse qui transparaît aussi dans ses romans, la puissance de son écriture ont fait que j’ai commencé ce roman qui vient de paraître avec enthousiasme.

Et cet enthousiasme ne s’est pas démenti, loin de là ! Plus de cinq cents pages et toujours la même attention du lecteur, pris dans les rets des aventures de ce personnage qui n’a pas de nom. Voilà Le garçon. Il n’a connu que sa mère, qui l’a maintenu pour d’obscures raisons dans un isolement complet, d’où sa mutité. Il a appris durant sa prime enfance, au contact de la nature, les techniques indispensables pour survivre dans cette contrée aride du Sud de la France.

Il perd sa mère au début du roman, moment terrifiant et initiatique à la fois, et se met alors en chemin. Il part à la rencontre du monde, et des hommes dont une seule fois il a eu un avant-goût en la personne d’un voyageur égaré tout près de leur tanière. S’en suit un périple hallucinant, riche en découvertes, étonnements, désillusions aussi , écoute profonde et sensible toujours, car le Garçon s’il ne parle pas, est un « écouteur » à la conscience aiguë et bienveillante.

Sa découverte du monde va le conduire du plus proche au plus lointain, et aussi du plus simple au plus sophistiqué, jusqu’à découvrir la guerre (celle de 1914), y être enrôlé et appréhender au plus profond de lui les horreurs que les hommes font aux hommes. Son étonnement vis à vis de la civilisation, qu’il ne comprend pas vraiment, le conduira au bout de lui-même, conscient d’appartenir au monde, à la nature, sans doute plus qu’à cette espèce si particulière qu’est l’humanité.

Immense roman, à la sensualité prodigieuse, qui bouscule le lecteur, le menant par le bout de la curiosité, l’obligeant à s’immerger dans cette quête surprenante, insolente, aimante et terrifiante sans que jamais il pense à suspendre sa lecture.

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